Corpus Christi

Le calendrier festif andalou est essentiellement lié aux fêtes religieuses. Faut-il évoquer les processions de la Semana santa (semaine précédant Pâques) ou celles de l’Assomption (15 août) ? Les ferias, pour leur part, sont souvent dédiées au Saint ou à la Sainte, protecteur de la cité.

Parmi toutes ces fêtes religieuses, il en est une qui revêt un caractère tout à fait particulier dans quelques villages de la Sierra gaditana, le Corpus Christi (le Saint Sacrement). Elle est célébrée soixante jours après Pâques (un jeudi) mais aujourd’hui, les festivités se déroulent souvent le dimanche afin de permettre au plus grand nombre d’y prendre part.

El Gastor – Justement qualifié de Balcón de los pueblos blancos, ce petit village perché bien haut sur son rocher de la Sierra gaditana, domine le lac de Zahara de la Sierra.

La fête de Corpus Christi, à l’instar de ce qui se passe à Granada ou à Cádiz, est celle qui requiert le plus d’attention de la part d’une population qui met tout en œuvre pour qu’elle constitue une réussite. Cette commémoration remonte à des temps immémoriaux. Il semblerait que c'est à Liège (Belgique) que la première procession du Saint Sacrement eut lieu. C'était en 1230. Trente ans plus tard (1261), le pape Urbain IV consacre cette fête dans le calendrier festif catholique. En Espagne, les premières processions sont organisées vers 1280 à Toledo et Sevilla avant de couvrir tout le pays.

A El Gastor, elle a pris une ampleur toujours maintenue depuis 1747, date de la consécration de l’église actuelle. Une fête importante et cependant intimiste où le touriste n’a pas réellement sa place ! Il ne s’agit nullement d’un spectacle mais d’un acte de dévotion. Importante car il faut toujours faire mieux que la grande sœur - Zahara de la Sierra - qui a près de 250 ans d'avance (1500). Intimiste car les habitants se sentent tous concernés. Les expatriés du village en profitent d'ailleurs pour revenir aux sources.

El Gastor, Zahara de la Sierra et tant d'autres endroits d'Espagne restent fidèles à la culture locale, aux traditions locales, aux convictions locales. Tant de lieux ne cèdent pas devant les nouveaux envahisseurs et le "politiquement correct". Tout n'est pas perdu !

La fête des voisins

En Belgique, en France, il a fallu réinventer « la fête des voisins » pour que les gens puissent se retrouver. A El Gastor, la fête des voisins est permanente. Dans le cas qui nous occupe - l’organisation du Corpus Christi - tout débute la veille de la fête. Les habitants parcourent tous ensemble la montagne et coupent palmes, branches, fleurs et herbes qui viendront décorer les façades et joncher le sol du parcours de la procession. Il semblerait que cette tradition corresponde à l’élagage printanier des arbres qui donnait lieu à des festivités campagnardes. Un amalgame du païen et du religieux !

Tout est prévu de longue date. Des anneaux afin de tendre des cordes qui soutiendront les branchages, des arcs afin de marquer l’entrée de l’itinéraire suivi, des châles, tapis, couvertures et autres patchworks afin de pavoiser les fenêtres. Les fidèles qui le désirent dressent un autel consacré à la Vierge ou à un Saint qu’ils vénèrent.

Deux bonnes heures de travail ! Les plus belles photos ou les textes les mieux rédigés ne peuvent rendre cependant cette odeur d’herbes coupées et de plantes aromatiques répandues à foison.

Tout est prêt ?

Que la fête commence !

Une fête religieuse débute normalement par un office religieux. Celui-ci est concélébré. Un chœur flamenco ajoute au côté festif. Les enfants en âge de communier sont conviés à le faire pour la première fois. Une fierté pour les parents et la famille pour qui la fête revêt alors un caractère supplémentaire.

En effet, les premiers communiants ont le privilège d’ouvrir la procession qui s’en suit. Tenues un peu kitsch, j’en conviens – robes de mariée pour les filles et costumes voyants pour les garçons – mais la tradition est ainsi faite !

Ils sont encadrés de « paysannes » portant fruits et légumes dans des paniers d’osier, offrandes symboliques aux démunis.

Portant l’ostensoir, le prêtre est sous le baldaquin. A son passage, les fidèles se signent ou s’agenouillent.

A chaque autel, la procession marque une halte. L’ostensoir, qui met en exergue le Corpus Christi, est posé, une façon de rendre hommage au Saint vénéré, est ensuite présenté à la foule avant de reprendre son chemin. Souvent, il est un ancien pour jouer un petit air de gaita gastoreña – instrument local remontant à l’époque arabe, creusé dans une corne de taureau, ce qui lui donne une tonalité tout à fait particulière.

Impossible en effet de concevoir une fête andalouse sans musique ! La banda locale accompagne la procession. Il est heureux de constater que cette fanfare, composée uniquement d’habitants de la localité de tout âge, compte plus d’une cinquantaine de musiciens.

Le long de l’itinéraire, il n’est pas rare de voir des anciens tresser des cachiporras -genre de fouets à bétail – à l’intention des plus jeunes en guise de jouets.

La procession démarre et s’achève à l’église. Une dernière action de grâce et le Corpus Christi retrouve le tabernacle du maître-autel.

La population s’en retourne alors, non sans avoir profité d’un rafraîchissement bien mérité. La table familiale est dressée. Si les rues sont désertes, les flonflons de la fête n’en sont pas moins présents au cœur des foyers.

Le soir venu, un concours musical de gaita gastoreña permet aux villageois de conserver vivante la tradition de cet instrument tout à fait particulier, propre aux bergers du terroir.

Le lundi midi, tout est dit ! Les habitants, comme un seul homme, ont rassemblé les décorations qu’un camion de la municipalité est venu enlever. La fête est terminée que déjà germe dans la tête de beaucoup la façon de décorer l’an prochain pour que ce soit mieux encore.