Le Traslado, une affaire de rocier@s
Tous les sept ans, au terme du Rocío chico – 19 août -, la Vierge prend le chemin d’Almonte accompagnée par des dizaines de milliers de fidèles. Elle y séjournera jusqu’à la romeria de Pentecôtes de l’année suivante.
Année exceptionnelle que 2019 puisque les rocier@s célèbrent le centenaire de la Coronación canonica, cent ans que l’archevêque de Sevilla – Monseigneur Almaraz y Santos - a posé la couronne d'or sur la tête de la Vierge del Rocío.
El Rocío – Voilà déjà trois semaines que la Vierge a revêtu sa tenue de pastora. Cependant, elle n’a rien d’une paysanne. En effet, il s’agit de la tenue de voyage que portaient les dames nobles dès la fin du XVIIIème siècle. Les fidèles et les curieux convergent vers la ermita plus nombreux que de coutume. Ils viennent lui souhaiter bon voyage. Depuis le chœur de l’église, elle pose sur eux un regard de mansuétude comme une mère sur ses enfants. Elle part mais ne les quitte pas. Tous restent dans son cœur.
Le grand jour est arrivé. El Rocío est en fête. Les almonteñ@s ont dressé un tunnel de fleurs de papier pour guider la Vierge dans ses premiers pas. En a-t-elle besoin ? Ne connaît-elle pas le chemin, ce fameux camino de arena qui mène à Almonte ? Ne seront-ils pas là, ses enfants, pour l’accompagner ? Un rocier@ se doit de participer au « Traslado ».
L’office religieux se termine. Fusils de chasse et mousquets sont sortis des armoires. Les premiers coups de feu retentissent. Une façon bien particulière de saluer la sortie de la Vierge. L’odeur de la poudre se mêle à celle de l’encens.
Lentement, la Vierge fait ses premiers pas sous les vivats : " Guapa, guapa y guapa. Bonita, bonita y bonita… " Sur le parvis de la ermita, une marée de têtes. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Il lui brûle les yeux. Cela fait si longtemps qu’elle n’a plus quitté son siège. Le chemin de fleurs atténue la force des rayons. Elle va de çi, de là, répondant aux appels de tous et de chacun. Tous veulent la saluer, toucher ne fut-ce que le bord de son manteau. Le voyage sera long. Elle voudrait être disponible pour tous mais est-ce raisonnable ? En ouverture du cortège, ses attributs – couronne, sceptre et autres décorations - que portent sa camériste et quelques fidèles. À défaut de son vêtement, poser la main sur l’un d’eux revêt la même signification. Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
" La salud para mi hermana, porfa. " Une dame pleure en implorant la Vierge. Elle pose sur la quémandeuse son regard bienveillant. L’une et l’autre communient en cet instant intense. Elles se sont comprises. Un signe de croix en remerciement. La dame se retire, rassurée.
L’aumônier d’une hermandad s’élève, porté par ses ouailles. Les bras dirigés vers la Vierge, il entame un " salve ". La foule l’accompagne dans sa prière qui monte vers le ciel. Des vivats et elle reprend sa lente progression. Les porteurs sont déjà exténués. La chemise leur colle à la peau. Les épaules sont douloureuses. La sueur creuse son lit sur les visages couverts de poussière et de sable. Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
Le soleil est déjà bas à l’horizon. Les dernières demeures de l’aldea annoncent l’entrée de la pinède. Il est temps pour la Vierge de se couvrir le visage du pañito et de revêtir la cape. Sous une large couronne de fleurs, sa camériste l’aide.
La colonne de pèlerins se fait de plus en plus dense. Ils arrivent de gauche et de droite. D’aucuns portent le bâton garni de romarin. Un foulard protège la bouche et le nez de cette poussière pénétrante. Dans le sac à dos, de l’eau et quelques victuailles car la nuit sera longue. Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
La nuit est maintenant tombée. Un rai de lumière et la Vierge se dessine sous les frondaisons. Elle est comme dans un brouillard. Elle se fraie un chemin dans cette masse humaine. Chacun désire cheminer à ses côtés. Peine perdue ! La nuit rend la marche difficile dans ce bois de pins. L’un trébuche, l’autre heurte du pied une souche. Qu’importe ! Un rocier@ se doit d’être présent.
À revers, les stations du chemin de croix symbolisent la progression.
Les heures défilent.
La fatigue marque les traits.
La poussière et le sable maculent les tenues dépenaillées.
Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
Devant, derrière, à côté…
Les éclairs déchirent la nuit noire sans prévenir.
Les oreilles sifflent, les oreilles bourdonnent, les oreilles font mal.
Le cœur s’emballe.
La respiration est haletante.
Là, une dame en a assez, plus qu’assez d’être ainsi agressée.
Elle crie sa désapprobation.
Là, une autre se bouche les oreilles avec les mains à défaut d’autre chose.
Plus loin, une autre pèlerine préfère se protéger les oreilles de son foulard alors qu’un nuage de poussière l’enveloppe.
Un enfant pleure sur l’épaule de son papa. Il a peur.
Et ces coups de feu, encore et encore.
Cela ne cessera donc jamais.
Au loin, une aura de lumière. Almonte est en vue.
La nuit se déchire pour laisser place au petit jour.
Le parc du Chaparral accueille cette foule fourbue… et la Vierge del Rocío.
Les Almonten@s sont aussi en nombre, les paupières encore lourdes de sommeil.
La Vierge peut retirer son pañito et sa cape avant de traverser la ville.
Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
Onze heures sonne au clocher de l’église Nuestra Señora de la Asunción d’Almonte.
Pour en marquer l’entrée, une cathédrale éphémère dresse ses colonnes blanches vers le ciel.
Les plus jeunes s’y accrochent.
Les plus prudents sont en retrait.
Les plus téméraires se mêlent à la foule toujours dense.
Un porteur suffoque à perdre haleine. Il n’en peut plus. Il se retire.
Très vite, un " gorille " se presse pour le remplacer, entraînant dans sa course un simple passant. Le voilà coincé sous le paso sans qu’il ne puisse rien faire. Surprise et fierté l’animent pour ce moment exceptionnel. Il imagine en cet instant, ce qu’ont vécu les porteurs plus de vingt heures durant. Pressés, tirés, malmenés,… mais qui ne céderaient leur place pour rien au Monde.
Et toujours ces coups de feu qui l’accompagnent.
Enfin, la Vierge del Rocío est arrivée à destination.
Pour la circonstance, l’église a revêtu ses plus beaux atours.
Elle trouve place derrière le maître-autel parmi les fleurs et les cierges.
Que ce voyage fut long et difficile !
Un dernier regard échangé avec les pèlerins !
Les coups de feu s’estompent !
Les sacs à munitions sont vides. Près de cinq cents cartouches chacun, ce n’est pas rien !
La vie reprend son cours normal…
Sauf que dès aujourd’hui, Almonte est devenu le centre du Monde… du moins pour les rocier@s.
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